Finalement, ça n'était pas si désagréable de revenir à l'académie un samedi, de si bon matin, avec une compagnie loin d'être désagréable. Karl devait le reconnaître, Lyanna était certainement et de loin, la fille la plus belle à l'avoir approché, hormis peut-être Moira, une humaine avec qui il sortait encore l'année passée, mais qui n'avait point supporté son isolement progressif et le silence dans lequel il s'enfonçait lorsqu'elle osait lui poser quelques questions. Lyanna, elle était différente. C'était une sorcière, un fait pas négligeable, mais il émanait quelque chose d'elle, le genre qui vous laisse imaginer que la personne qui vous fait face, malgré les apparences, ne se joue pas de vous. Et puis elle semblait différente une fois seule, comme si là, face à lui, elle ne jouait aucun rôle. Mais il préféra continuer à jouer son rôle de tuteur, pour ne pas laisser paraître un semblant d'intérêt autre que pour le devoir. « - Ne le mets pas en annexe, mets-le directement sur la copie, que cela soit bien visible. Si c'est bien le prof auquel je pense, il te faudra quand même modérer ton audace, surtout à l'oral. Il n'aime pas les « têtes d'ampoule » J'en sais quelque chose, je l'ai pas mal énervé là-dessus. N'en fais pas trop à l'oral, mais blinde à l'écrit ! C'est mon conseil. » Il se surprit à lui rendre son sourire avant de répondre, avec bienveillance, malgré le conseil abrupte « - Non, n'en fais pas trop, je t'assure. Ce n'est pas bête en soi, ça fait juste fayotte. Je sais de quoi je parle. Et puis je suis un peu perplexe, parce qu'au final, de ce que je vois, ce n'est pas si mal, c'est même bon, trop pour avoir besoin d'une aide supplémentaire. » Sauf que cela n'était pas formulé comme un reproche, ça l'amusait même.
C'est donc plus à l'aise, qu'il consentit à parler de la seconde année d'études, avec un premier trimestre bien entamé. Karl était le meilleur, mais ne s'en félicitait que lorsqu'il quittait les murs de l'académie. Pour lui, le plus beau des cadeaux, aurait été d'entendre Arthur Fitzgerald lui dire à quel point il était fier. Cela tardait à se faire entendre, mais Karl ne désespérait pas et puis il pouvait toujours compter sur sa mère, qui elle l'ancienne sorcière de White Chapel, ne modérait pas son entrain et sa fierté. Son regard azur brillait à chaque fois qu'elle entendait les exploits de son fils. En un sens, elle compensait le manque de démonstration affective de son mari, mais ne pouvait le blâmer pour ça. Karl n'en plus, toutefois, il commençait à désespérer d'avoir un jour un peu de reconnaissance. « - Oui, la deuxième année est plus consacrée à des mises en situation. Bon, je ne dis pas que nous en avons à outrance hein, mais c'est un peu plus équitable que ce qui nous ait enseigné en première année, avec le tronc commun. » Elle consentit à lui faire une confidence qu'il ne fut pas surpris d'entendre de sa bouche. « - Pourquoi ça ne m'étonne pas ? Je vais te faire une confiance. Moi, c'est avec les potions que j'expérimente. Quand on a de l'avance, on a vite l'impression d'être bridé hein ? »
Ils avaient plus en commun qu'il ne l'aurait cru et doucement (mais sûrement) ces confessions contribuaient à le mettre un peu plus à l'aise, lui faisant oublier peu à peu sa méfiance et la peur d'être piégé. « - Non ce n'est pas du tout l'éclate. Surtout quand tu vois les blaireaux que je me tape dans la classe. Je ne devrais pas dire ça, désolé. Ce n'était pas sympa, mais je suis frustré et à bien y réfléchir, c'est vrai que ça serait cool d'avoir quelqu'un qui accepte de me choisir et qui en plus aime le travail bien fait. Et une personne qui à ce que j'entends, a pris toutes les options. Ce n'est pas comme s'ils y en avaient six en plus des cours obligatoires. Donc, je peux conclure, que nous appartenons à la catégorie des bourreaux de travail. Je les ais toutes prises aussi, les options. Excepté le sport, histoire de ne pas trop être chahuté. Cette année, je me concentre sur des choses moins exaltantes comme l'étude runes. Pour le coup, je suis vraiment mauvais. J'ai pris le latin aussi pour perfectionner ma magie. » Le sujet scolaire, au demeurant passionnant pour eux deux, cessa de dominer la conversation lorsque l'ami Karl osa enfin mettre les pieds dans le plat, redoutant quand même un peu, la réponse à venir. « - C'est une question ! » commença-t-il à nouveau hésitant alors que déjà, la très belle Lyanna faisait entendre son point de vue sur lequel Karl rebondit aussitôt. « - Tant que tu ne m'appelles pas Karlito, tout me va. Moi, je pense ...En fait, c'était de l'improvisation, parce que très franchement, je ne m'attendais pas à ça. Tu dois comprendre que ce n'est pas du tout contre toi, c'est juste que je n'ai plus l'habitude d'être face à quelqu'un de sympa. Du coup, je ne sais plus trop comment réagir quand ça arrive. Tout ça pour dire que finalement, je crois que je vais être obligé d'honorer notre accord, parce que j'arrive à peu près à te supporter. »
Lyanna n’avait d’yeux que pour Karl. Elle était si contente d’avoir réussi la première partie de son plan : être seule avec lui, apprendre à le connaître. Et peut-être plus s’il s’avérait qu’ils avaient des atomes crochus. Et visiblement, c’était le cas. Elle écoutait avec attention ses conseils, prenait parfois des notes. Elle releva les yeux vers lui en fronçant le nez.
- Eh ! Je suis pas une tête d’ampoule ! Je suis un cerveau brillant et je compte pas jouer les nigaudes pour qu’il étouffe son complexe d’infériorité. Mais d’accord, je blinde à l’écrit et je modère mes ardeurs à l’oral, c’est noté.
Il avait souri, Lily en était émerveillée. C’en était contagieux, elle aussi souriait. Ce sourire, elle ne l’avait encore jamais vu dans l’enceinte de l’académie et du coup, elle s’en délectait. Il était si charmant, ce sourire aurait suffit à illuminer un gris jour de pluie. C’était ce qu’elle se surprit à songer quand Fitz reprit la parole. Là, elle écarquilla les yeux en se redressant, bombant presque le torse comme un coq.
- Je ne suis pas une fayotte non plus ! Je suis brillante, c’est différent ! Ce sont les jaloux qui qualifient les brillants de fayots, et de toi à moi, je crois que personne n’oserait me dire ça en face.
Mais elle reprit immédiatement son sourire lorsque Karl déclara que le devoir ne méritait d’aide supplémentaire.
- Bon, je vais quand même suivre tes conseils.
Et puis un des sujets qui l’intéressait fut abordé plus amplement : l’année suivante. Lily n’était qu’en première année, mais déjà elle était avide de connaissances, et Karl semblait l’être aussi, lui qui, comme elle, tentait de son côté des expérimentations ? - Non, c’est vrai ? Je voulais me mettre aux potions au deuxième trimestre ! Tu voudrais pas m’apprendre ce que tu sais, à l’occasion ? Je serai pas un boulet, promis, j’ai déjà assisté ma mère quelques fois, avança-t-elle avec fierté.
Lily se mit à glousser en entendant son camarade parler de ses camarades de cours. Il avait sans doute raison, mais il se ravisa aussitôt.
- Eh, tu as le droit d’avoir un avis, en plus, d’après ce que je comprends, ils ne sont pas sympa avec toi. J’espère que ça changera.
Lyanna se faisait la promesse que cela changerait, elle mettrait tout en œuvre. Elle était populaire, on la respectait, on l’écoutait, alors elle ferait tout pour que Karl ne soit plus la victime des autres. Ça commençait par son petit groupe. Une dizaine de jeunes sorciers de première année qui déjà aurait interdiction de se moquer de lui. Et elle continuerait. Dans sa tête, c’était acté.
- Les runes ? J’en connais quelques unes, j’ai observé celles de ma mère, elle m’a appris quelques petites choses. Je connais les vingt-quatre symboles et leurs significations. Si tu veux je pourrais t’aider à mon tour, ça me fera plaisir.
Toute contente d’en apprendre un peu plus sur Karl, Lily était cependant avide de toutes les informations possibles. Mais le jeune homme lui coupa l’herbe sous le pied de par la sincérité qui se dégageait de ses propos. La brunette baissa le regard quelques secondes, désolée d’entendre la réalité qui était celle du jeune Karl Fitzgerald. Puis, elle releva des yeux étincelants vers lui, sourire radieux aux lèvres avec d’esquisser un petit rire.
- A peu près à me supporter ?! C’est adorable, Karl Fitzgerald ! ricana-t-elle en lui mettant un petit coup de coude.
Elle rangea son devoir dans la pochette qu’elle avait prise et s’accouda sur la table.
- J’ai une idée, tu me dis quelque chose sur toi, et je fais pareil. Je peux commencer si tu veux. Alors euh… Tiens la semaine dernière, pendant la nuit, je me suis amusée à glisser en chaussettes dans le couloir juste pour voir si quelqu’un s’en apercevrait. J’aime bien les challenges. Et toi, tu aimes les challenges ?
Il ne se rendait pas compte qu'il était le centre de son univers et des trésors d'ingéniosité qu'elle dépensait pour passer du temps avec lui. Pour dire vrai, il avait jusqu'alors tellement l'habitude d'être moqué et rabaissé, qu'il était impensable à ses yeux, qu'il soit capable d'intéresser quelqu'un. Lui-même se définissait comme très banal, loin de se douter de son potentiel. À l'inverse, Lyanna ne doutait pas d'elle, certains pourraient aisément le prendre comme de la prétention, pas Karl de toute évidence, qui se permit même une petite boutade à son encontre. « - Une personne intelligence n'a pas besoin de le faire savoir. Sagan a dit, je cite : « la culture, c'est comme la confiture, moins on en a, plus en l'étale. » Les cours de littérature regorgent de citations intéressantes à caser dans une conversation. Mais tu as raison, le prof a sûrement un gros complexe d'infériorité, d'où son antipathie à l'encontre des élèves pourvus d'un cerveau brillant. Et c'est vrai qu'à bien y regarder, ton charmant, petit crâne n'a pas la forme d'une ampoule. Tu peux être rassurée. »
Un sourire, ce geste somme tout anodin pour le commun des mortels et les créatures qui ont la faculté de le faire. Karl n'en était pourtant pas capable jusqu'alors et encore moins au sein de l'académie, qu'il redécouvrait sous un jour nouveau en compagnie de Lyanna dont la présence lui était de plus en plus agréable à tel point qu'il osait la charrier sans craindre un retour en flammes. Ils en étaient à présent au stade des confessions en s'avouant mutuellement des pratiques magiques non encadrées et hors des cours. Lyanna s'était essayée à quelques sortilèges, tandis que Karl avait opté pour des potions. Une matière pour laquelle il n'était pas trop mauvais en plus. « - J'adore cette matière et je ne saurais dire pourquoi. Ma mère détestait ça et mon père... » Il marqua un léger silence, qui en disait long sur le malaise qu'il éprouvait à parler du passé de son père. Un passé dont il ignorait tout excepter le faire qu'il n'est jamais suivi un enseignement magique en bon et due forme. « - L'école ce n'était pas son truc » rajouta-t-il faute de mieux sans s'épancher davantage sur la question.
« - J'espère aussi que ça changera » laissa-t-il entendre avec lassitude en parlant de ses camarades et de l'isolement qu'ils lui avaient imposé par la force des choses et qui rendait les travaux collectifs plus que pénibles pour le jeune sorcier et futur régent de Red House. « - Mais en attendant, je préfère ne pas y penser » la réplique cloue le sujet avant qu'un autre n'émerge et n'exalte la motivation du jeune Karl. « - Franchement cela serait vraiment cool si tu m'aidais. Surtout que je crois que l'étude des runes est assez coefficienté sur l'examen de fin d'année. Je m'en voudrais de me foirer juste à cause de ces foutues runes. Et en échange, moi, je te file des tuyaux en potion, où je me débrouille assez bien pour prétendre pouvoir filer des tuyaux. Tu en dis quoi ? Ca te parais équitable comme marché ? » De toute façon, il n'avait pas mieux en réserve et puis c'était aussi une occasion de se revoir. « Wow, tu commences à te faire des films Karl ! » Sa situation le rappela aussitôt à l'ordre, faisant ainsi faire entendre à Lyanna, la rudesse de son quotidien et le fait qu'il n'avait pas l'habitude que l'on s'intéresse à lui. Mais comme toujours, l'ami Karl se raccrocha aux branches pour éviter d'avoir à sortir les violons et les closes de leur précédent accord, semblaient être le sujet idéal désormais. « - Ouais, je suis aussi capable de faire d'adorables compliments, tu as vu ? Tu sais parler, ta concordance des temps est acceptable. Ce sont de bons critères pour supporter quelqu'un. » Évidemment, il la chambrait, il n'était pas fermé à ce point contrairement à ce que pouvait penser beaucoup de personnes qui en plus de le juger à tort, ne le connaissaient pas assez pour prétendre à ça.
La demoiselle rangea alors son devoir, qui n'avait pas besoin de plus de corrections « -Bon bah je crois que c'est bon alors ? » demandait-il presque à regret avant que son interlocutrice ne lui fasse part d'une idée qui prolongerait de ce fait l'échange. Sans trop réfléchir Karl accepta de se prêter au jeu « - Tu as glissé en chaussettes ? Dans le couloir ? C'est un petit challenge mine de rien. Je n'en ai pas là qui me viennent en tête, sûrement parce que je ne suis pas du genre à réaliser des challenges. Mais comme tu m'as un truc sur toi, je dois jouer le jeu et en faire de même. En fait, j'adore faire des compilations, avec des cassettes. Mais j'ai vraiment des goûts pourris en termes de musique. Ma petite amie disait que c'était trop kitsch est une tare à ce stade.. »
Il la charriait, il osait là où d’autres n’auraient pas même osé tenter, peut-être de peur de se voir éjecté du groupe. Pourtant, ce n’était pas le genre de Lyanna de mettre à l’écart qui que ce soit pour si peu. Prenant un air faussement offusqué, elle le regarda les yeux écarquillés et bouche bée avant de finalement éclater de rire pour illustrer son amusement.
- Je ne connaissais pas cette citation avec la confiture mais je la trouve bien drôle. Merci pour tes sages conseils, Ô grand vénérable, dit-elle sur un ton théâtral.
Elle retint cependant qu’il avait utilisé le qualificatif « charmant » pour parler de son crâne. S’il savait combien ce terme servait à le qualifier, lui, Karl Fitzgerald, dans la tête de la jeune fille. Celui qui était en grand manque de popularité commençait à se dérider et laissa même échapper quelques bribes d’informations sur lui, du moins sa famille. Ses parents. Sa mère qui n’aimait pas les potions, son père qui n’aimait pas… l’école ? Lyanna avait du mal à s’imaginer un sorcier aussi haut placé que Arthur Fitzgerald n’étant pas bon à l’école. Mais le sujet semblait mettre mal à l’aise, aussi Lily fit tous les efforts du monde pour neutraliser sa curiosité et ne pas poser davantage de question sur le propos.
L’un comme l’autre sembla éconduire avec joie les sujets fâcheux pour se concentrer sur ce qui les exaltait davantage, comme les cours passionnants qui sortaient un peu du lot du tronc commun obligatoire, et leurs petites expériences clandestines. Karl sembla enchanté par la perspective d’être aidé par Lyanna en ce qui concernait les runes. A vrai dire, elles étaient beaucoup utilisées en magie élémentaire et Lily avait de nombreuses fois pu observer ses parents.
- Eh, respecte les runes, elles te seront très utiles quand tu sauras les comprendre et les maîtriser. Tu n’imagines pas comme elles peuvent renforcer tes pouvoirs.
La perspective de revoir Karl pour des cours privés de potions l’enchantaient. - J’en dis que c’est un super marché. On pourrait se voir les samedis matins si ça ne te dérange pas de revenir ici ? Ou ailleurs si tu as des lieux où tu aimes aller. On pourrait aller dans la maison de mes parents, même, si tu veux. Il faudrait juste que… l’un de tes parents fasse un mot pour attester qu’officiellement je suis chez eux. Ou sinon je fais le mur. Je me suis entraînée à un sort d’invisibilité mais il ne dure pas plus d’une minute pour le moment. A utiliser au bon moment donc…
Le devoir rangé, l’adolescente qui n’avait pas besoin d’être rassurée tout de même satisfaite de l’appréciation de son mentor de la matinée, elle se prêta au jeu de raconter quelques anecdotes, comme ici son goût pour les challenges un peu idiots.
- C’est marrant de repousser ses limites parfois, ou celles qui sont imposées. On avait parié un sachet de bonbons, personne n’osait le faire, alors je l’ai fait. Bon le concierge a entendu glousser alors il a fallu vite déguerpir, mais c’était vraiment drôle.
Alors, Karl accepta de se prêter au jeu également en racontant quelque chose sur lui. Lily, tout sourire, s’amusa d’entendre son goût pour les compilations. Le mot « petite amie » néanmoins fut ce qu’elle retint, davantage que les goûts musicaux qualifiés de pourris.
- Elle disait ça ? Au passé ? J’en déduis que vous n’êtes plus ensemble. Et qu’en dit ta petite amie actuelle ? Pitié, dis qu’y a personne… Pas de petite amie…
Malgré l’assurance dont elle faisait preuve, Lyanna n’en menait pas large, ayant peur de se griller, bien que Karl semblait assez long à la comprenette.
- De toute façon, les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas. C’est ce que mes parents ont toujours dit… Bon, j’avoue que parfois, mon niveau de tolérance à certaines choses n’est pas toujours au plus haut, mais quand même. Si tu aimes la musique, tu pourrais même proposer des sons pour les prochaines soirées.
Car oui, Lyanna était persuadée qu’elle pourrait l’aider à gravir l’échelle sociale de la popularité.
- C’est quoi le truc le plus dingue que tu aies fait ?
Il commençait à se prêter au jeu de l'observation. Il remarqua de ce fait la couleur de ses yeux. Marron, mais pas un marron quelconque. Un marron sucré, comme le miel et intense comme le chocolat. Il peinait à se mettre d'accord sur le descriptif, mais trouvait les deux ingrédients adéquats. Il remarqua aussi, sur le coin de sa lèvre supérieure, une fine cicatrice de 3, 4 centimètres tout au plus, à la verticale. Que lui était-il donc arrivé ? Avait-elle été, un jour, trop intrépide ? Était-ce une maladresse ? Il mourrait d'envie de connaître la réponse, mais resta silencieux, visiblement encore un peu trop timide. Et puis ce n'est pas comme si la réponse à cette question avait une réelle importance, ou qu'elle soit susceptible de changer le reste de son existence. « - Ok » commençait-il alors qu'elle venait à peine de formuler les bases de leur nouveau marché. Il l'avait d'ailleurs presque coupé dans son élan. « - Enfin je veux dire oui, le samedi matin ça me va. Mais pour que ça soit plus simple et pour nous éviter des ennuis à frauder, tu pourrais aussi venir chez moi. Ma mère, si je lui demande, fournira une autorisation de sortie à la directrice. Le truc, c'est que je pense qu'elle dira « non » si on essaye de gruger. » Il était dans le vrai, Mrs Fitzgerald était cool, mais avait, comme toutes les mères qui se respectent, des limites. Ca, c'est pour le côté officiel de la chose, mais officieusement, c'était aussi une façon pour Karl, de faire découvrir son monde à Lyanna, hors des murs austères de l'Académie, où plus aucun masque ne perdurait. « - Et puis franchement ça serait dommage de faire le mûr, pour faire ses devoirs non ? » Logique oui, mais peut-être pas pour tout le monde.
Le devoir « vite » rangé, il leur fallait trouver autre chose pour combler le silence, mais plus encore pour ne pas devoir se quitter sitôt. Karl, qui n'était pas coutumier du fait, accepta toutefois de se prêter au jeu des anecdotes après avoir écouté Lyanna livrer la sienne, non sans être amusé par l'entreprise de l'aventurière en herbe. « - Oui, je conçois qu'il soit marrant de repousser ses limites, mais de toi à moi, je m'attendais à plus ... Comment dire... Disons que je m'attendais à quelque chose de plus fou. Et loin de moi l'idée de t'inciter à faire quelque chose de fou hein. » D'autant plus que pour sa part, Karl n'avait encore jamais rien fait de tel et se demandait comment son père réagirait le cas échéant. Il évoqua à son tour quelque chose sur lui, histoire de donner de la matière à Lyanna qui elle, sembla restée bloquée sur le terme « petite amie » plutôt que sur les goûts approximatifs de son interlocuteur en terme de musique. « - Euh... Oui au passé et je suis sûr qu'elle le dirait encore si on lui posait la question. On s'est quand même quitté en bons termes malgré tout. Elle était humaine, elle l'est encore d'ailleurs. C'était compliqué pour moi de devoir tout lui cacher et elle a fini par s'en lasser. Je ne peux pas lui en vouloir d'ailleurs. Ca m'a vacciné des relations amoureuses en tout cas. » lança-t-il innocemment, loin de se douter de l'effet produit par sa réponse sur Lyanna. « - Tu as raison sur les goûts et les couleurs. Enfin, tes parents ont raison, mais toi aussi par extension. Et non, je ne m'aventurerais pas à proposer des sons. Je t'assure que c'est très kitsch, tellement que j'en ai honte. » Elle lui demanda alors, innocemment quel était le truc le plus dingue qu'il n'ait jamais fait. « - Je suis la personne la plus ennuyeuse du monde, je t'assure. Je n'ai jamais rien fait de dingue à ma connaissance. À part peut-être te dire « oui » pour venir avec toi à la fête de ce soir. »
La jeune fille, elle, était déjà conquise par ce regard bleuté qui lui faisait face. Dès leur première rencontre, elle avait été comme hypnotisée, et depuis, à chaque fois qu’elle croisait Karl au détour d’un couloir, elle le regardait fixement, comme si le temps n’avait plus d’emprise, comme s’il n’y avait que lui, durant les quelques secondes de leur passage respectif en sens inverse. Et en ce samedi matin, ils étaient vraiment seuls tous les deux, face à face, accoudés à cette table ronde en pierre. Certes le temps ne s’était pas arrêté, mais la matinée et même la journée leur appartenait. Mais elle en voulait plus, Lily n’était pas du genre à se contenter de peu quand elle pouvait tout avoir. Ses parents l’avaient élevée dans l’optique qu’elle pourrait avoir tout ce qu’elle désirait si elle travaillait dur et si elle s’en donnait les moyens. Outre être la meilleure sorcière que l’academy ait connu, ce qu’elle voulait depuis quelques semaines, c’était Karl. Mais une chose après l’autre. Déjà, cette première rencontre se passait plutôt bien, Karl avait de l’humour, des connaissances, il était cultivé et intelligent, en plus d’être absolument charmant, ce qui ne gâchait rien. L’adolescente rebondit immédiatement sur la proposition d’entraide en établissant un petit planning pour les samedis matins. Et quelle ne fut pas sa surprise en apprenant que la mère de Karl serait prête à lui faire un mot pour attester qu’elle sortait de Ravenwood pour venir chez eux. Ravie, Lyanna sourit de plus belle.
- Tu es sûr que ça ne va pas déranger ta mère ?
La demoiselle eut un petit dire avant de poursuivre.
- Théoriquement, je ferais le mur pour pratiquer des expériences non autorisées, en plus de t’aider avec les runes… Et puis on n’est pas obligés de faire que ça. Enfin je veux dire… Un fois qu’on a fait les devoirs et nos petites expériences, on peut aussi aller manger une glace par exemple. Ou d’autres trucs.
Son sourire devint plus espiègle encore lorsqu’elle évoqua sa petite glissade en fraude en pleine nuit dans les couloirs des casiers, sous les regards de ses camarades, avant de vite prendre la fuite sans être vue. C’était aussi pour cela qu’elle était respectée comme leader, parce qu’elle n’avait pas peur d’enfreindre certaines règles, du moment que ça ne faisait de mal à personne. Sortir des dortoirs passée l’heure du couvre feu était formellement interdit, mais qui s’y rangeait ? Son propre père, quelques années auparavant, lui avait confié avoir fait de l’exploration avec ses copains à l’époque où lui aussi était pensionnaire d’une académie de magie à Salem. Il était bien sûr loin de se douter que son intrépide fillette se rappellerait de cela au jour de son entrée à la Ravenwood academy.
Les traits de Lily se figèrent lorsque Karl évoqua sa petite amie, ou plutôt son ex. Ce détail la rassura, mais trop peu de temps car en effet, le jeune homme affirma être vacciné des relations amoureuses. Ne sachant comment réagir, Lily préféra en rire, du moins extérieurement.
- Tu plaisantes ? T’as quoi, quinze ans ? Tu ne peux pas rester célibataire toute ta vie ! On a tous eu de mauvaises expériences, c’est pas pour autant qu’il faut fermer la portes au reste. Regarde par exemple, mon premier copain embrassait vraiment trop mal, sérieux c’était répugnant. Si je m’étais tenue à cette expérience, je n’en aurais plus jamais eu d’autres. Et le suivant était finalement beaucoup plus doué. Comme quoi, la persévérance, ça paye ! dit-elle joyeusement. Moi aussi je suis sortie avec des mortels.
Comprendrait-il la subtilité ? A présent, ils étaient des sorciers, bel et bien ancrés dans le processus. Mais elle préféra aussi rester sur le sujet des goûts musicaux pour ne pas trop vite se griller sur ce qui l’intéressait vraiment.
- Moi je suis curieuse de savoir ce qui te fiche autant la honte. Tu me feras écouter si j’ai l’autorisation de venir chez toi ? Promis, j’en parlerai à personne sans ta permission.
Et puis, ayant envie de le connaître davantage, Lily demanda ce qu’il avait pu faire de réellement dingue, mais fut un peu déçue en constatant que Karl n’avait pas vraiment de petite folie à son actif.
- Sérieux ? Et tu te moques de mon exploit en chaussettes ? Ttt ttt ttt, ce n’est pas acceptable, ça, Mr Fitzgerald. Il va falloir y remédier.
Sans attendre, elle se leva.
- Viens avec moi, on va aller dans le parc, et là on va trouver un truc vraiment dingue à faire.
Récupérant sa pochette contenant son devoir, elle avança d’un pas décidé, s’enfonçant dans le parc arboré qui jouxtait l’académie. Une fois suffisamment éloignés, ils tombèrent sur un petit lac.
- Tu connais des sorts de lévitation ? Fais-moi traverser le lac. Si je touche l’eau, tu auras un gage.
Bien sûr, il ne s'était jamais rendu compte des regards qu'elle lui lançait lorsque dans les couloirs, ils étaient amenés à se croiser. Pour dire vrai, Karl préférait baisser le sien, de peur de croiser celui de ses détracteurs. Il ne voulait pas d'ennuis, pas cette année, car il savait que s'il était à nouveau poussé à bout, il pourrait aller plus loin que la fois précédente. Il était arrivé à un point où il était prêt à rendre coup pour coup et ne voulait pas en arriver là, aux risques de faire mauvaise pub à ses parents, mais plus encore à son père, qui avait une place importante au sein du Coven. Karl préférait donc laisser choir toute perspective de rébellion et se contentait de filer droit dans les couloirs. Mais peut-être que si un jour, il s'était laissé happer par le regard d'une certaine demoiselle, il aurait compris que l'hostilité n'était pas de mise auprès de tous et qu'il subsistait dans cet enfer, une lueur d'espoir répondant au doux prénom de Lyanna. Et dire qu'il aurait suffi d'un regard !
« - Si cela était dérangeant, je ne te l'aurai pas proposé. Et puis, je crois qu'elle serait tellement ravie de me voir amener quelqu'un chez nous, qu'elle ne pourra se résoudre à dire « non » Car il est vrai, que Karl n'avait, depuis son entrée à l'académie, ramenait personne, pire encore, il avait même, bien malgré lui, coupé les ponts avec ses amis mortels. Penelope en était attristée, elle qui appréciait tant, voir son fils sourire. « - Il n'y aura pas de soucis, tu peux me croire. » De toute évidence, Lyanna n'était pas la seule à s'en réjouir, Karl lui-même était ravi d'avoir proposé cette idée et il le fut encore plus lorsque sa jeune interlocutrice proposa autre chose, preuve qu'ils s'inspiraient mutuellement. « - Ouais, pourquoi pas. On allait souvent au ciné avec mes amis. Peut-être que l'on pourrait y aller ensemble, en plus de se manger une glace... » Cela lui rappela bien malgré lui tout ce qu'il faisait avec ses amis et quelque part ça le rendait nostalgique de cette époque où il était encore scolarisé au lycée et où il ne subissait ni moqueries, ni brimât et qu'il jouissait même d'un semblant de popularité. Une pensée en entraînant une autre, il songea aussi à son ex petite-amie et à la peine ressentit au moment de la rupture due en partie à la véritable sa nature. Peiné par cette expérience, il ne semblait plus enclin à ouvrir son cœur. Un choix qui fut à l'origine d'un surprenant soliloque de la part de Mrs Johnston, qui parlait avec conviction et semblait faire montre d'une expérience qui surprit son camarade. « - J'ai un an de plus que toi si mes calculs sont bons » commençait-il avec légèreté « - Je t'arrête, je n'ai pas dit que j'allais rester célibataire toute ma vie, nuance. Et donc si j'ai bien compris, savoir embrasser est pour toi un critère de sélection primordial ? Mais que fais-tu du reste ? Genre la conversation, l'intelligence ? Si le gars embrasse bien et qu'il est con comme une huître ce n'est pas problématique pour ton cerveau brillant ? » Il restait gentil, bien qu'un peu moqueur dans l'échange, mais c'était de bonne guerre, Lyanna le lui rendait bien.
Puis le temps qui semblait ne plus avoir aucune incidence sur eux, s'emballa et en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, Karl pourvu d'une audace nouvelle, accepta sans réfléchir, de suivre la demoiselle jusqu'au parc. « - J'espère juste que je ne vais pas le regretter ! » lança-t-il à la suite de Lyanna qui ouvrit la marche et mena le futur régent de Red House, près d'un petit lac. « - Ah ok, je vois ! Tu veux que je saute dans le lac, c'est ça ? » Non, elle avait autre chose en tête à en juger par le petit sourire qui prenait vie sur son visage avant qu'elle ne lui demande s'il connaissait des sorts de lévitation. « - Ouais, j'en connais bien un ou deux pourquoi ? » La réponse ne tarda point à se faire entendre « - Quoi ? T'es sérieuse ? Je ne sais pas si j'y arriverais et puis l'eau doit sûrement être gelée à cette heure. » Il se cherchait encore des excuses et le savait pertinemment. Comment pouvait-il faire des progrès et allait de l'avant s'il n'acceptait pas de prendre quelques risques, des challenges marrants comme se plaisait à les nommer Lyanna. « - Bon d'accord, tu as gagné, je vais le faire. » Il déposa ses affaires, retira sa veste et se plaça devant Lyanna qu'il dominait de plusieurs centimètres. « - Pour te prouver que je sais prendre des risques, j'accepte d'attendre la fin du défi pour connaître le gage que je n'aurais pas. Par contre si je gagne, tu as le gage que tu allais m'octroyer» Il pris une grande inspiration, chercha dans sa mémoire un sort qu'il avait déjà utilisé et se lança « - Ipsum avolare ! »
Lyanna était ravie de ce petit projet et de savoir que la mère de Karl, Mme Fitzgerald, serait tout aussi heureuse de voir son fils ramener quelqu’un à la maison. L’adolescente fut néanmoins quelque peu peinée d’en déduire que cela n’arrivait que trop peu souvent. Karl était, semblait-il, définitivement isolé, mais la jeune fille se promettait de changer cela. Le peu de temps qu’elle venait de passer avec lui l’avait confortée dans l’idée qu’il était quelqu’un de bien. Son petit coeur fit un bond de bonheur quand elle l’entendit proposer d’aller au cinéma. Une sortie cinéma ! Si elle s’était écoutée, elle aurait sauté de joie debout sur la table. Une sortie ciné, ça ressemblait beaucoup à un rancard ! Mais Lily savait qu’elle devait modérer son ardeur, rien n’était encore joué car Karl semblait être un rêveur à qui il fallait remettre les pieds sur Terre de temps en temps pour lui ouvrir les yeux.
- Super idée. Devoirs, expériences, glace et ciné. Le programme d’un samedi parfait !
Elle n’avait pu s’empêcher de réagir à sa « vaccination des relations amoureuses ». Surtout qu’elle comptait bien être l’antidote à ce vaccin merdique. Mais comme il semblait en avoir pris l’habitude, Karl fit exprès de prendre les mots de son interlocutrice au pied de la lettre.
- J’ai jamais dit ça ! As-tu entendu les mots « critère primordial » sortir de ma bouche ? Je dis juste qu’une mauvaise expérience ne peut pas résumer tout le reste de celles à venir. Mon premier copain était très cool, il embrassait comme une vieille limace baveuse. Est-ce que ça veut dire que tous les mecs embrassent comme de vieilles limaces baveuses ? Eh bien j’ai appris que non quand je suis sortie avec mon second copain. Et pour ta gouverne, je ne m’intéresse pas aux cerveaux de mollusque, conclut-elle avec un clin d’oeil. Et toi, c’est quoi tes critères ?
S’en suivit une petite escapade dans le parc arboré, ce petit coin de verdure de quelques hectares que les élèves avaient le droit d’arpenter sur leur temps libre et qui servait parfois pour des cours. L’adolescente, espiègle comme jamais, s’était arrêtée devant ce petit lac dont la quiétude semblait onirique. Karl s’imagina immédiatement qu’elle le ferait sauter dans le lac. Lily se tourna vers lui avec sa bouille espiègle et secoua la tête de gauche à droite avant d’énoncer son idée.
- Ttt ttt ttt ! Lança-t-elle en levant son index droit devant lui en signe de désapprobation. Tu ne dois pas dire que tu n’y arriveras pas. Y a qu’un seul moyen de le savoir. Et si l’eau est gelée et que j’y tombe, tu me réchaufferas, acheva-t-elle avec un clin d’oeil avant de sortir une feuille de papier vierge de sa pochette. Ce qui est écrit doit être fait, c’est un pacte, dit-elle fièrement.
Pendant qu’il déposait ses affaires, elle écrit le gage qu’elle avait en tête dessus, déchira le coin de feuille et le plia en quatre. Elle s’apprêta à lui en citer le contenu quand Karl joua les courageux en disant que s’il gagnait, elle serait obligée de se plier au gage initialement prévu pour lui. Un immense sourire illumina son visage. Elle avait tout gagné. - Bien, tu es joueur, j’aime ça. Ce qui est dit est dit alors.
Ravie, elle déposa le bout de papier dans la poche du jeans de Karl avant de reculer vers le lac.
- Tu m’en veux pas si je retire mes chaussures ? C’est pas que j’ai pas confiance, mais elles coûtent une fortune alors…
Sans attendre la brunette se défit de ses petits escarpins noirs décorés de motifs lunaires en métal et une fois pieds nus sur les feuilles mortes, vint de placer au bord du lac.
- C’est parti.
Elle pivota pour rester face à lui. Elle ne voulait pas perdre un instant l’occasion de le regarder, et puis là, elle le verrait pratiquer la magie, fait d’autant plus intéressant. Il prononça la formule, et Lily se sentit soudain léviter lentement mais sûrement dans les airs. Le coeur emballé par l’euphorie, elle se mit à rire.
- ça fonctionne ! Karl, t’y arrives ! Tu vois !
Elle ne mit pas longtemps à survoler le petit lac pour en atteindre l’autre extrémité.
- Bravo ! l’applaudit-elle une fois ses pieds touchant l’autre partie du rivage.
Il était vrai qu’il faisait un peu froid, pieds nus sur les feuilles mortes.
- Je crois que quelqu’un a un gage. Quel sera le mien si je n’arrive pas à faire pareil ? Ecris-le aussi et on lit ensemble après.
Il fallait donc qu’ils se rejoignent pour le premier gage. Le papier disait "Embrasse-moi". Lyanna se concentra en fixant Karl du regard.
- Transire levitate.
Elle espérait que ça fonctionnerait et qu’elle pourrait lui montrer qu’elle aussi était douée. Et pas qu’en lévitation.
(c) DΛNDELION
Dernière édition par Lyanna Johnston le Jeu 15 Aoû 2019 - 1:15, édité 2 fois
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